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Visite de la vente aux enchères de vins : "165 euros en moyenne pour une bouteille".

Avec sa façade en pierre naturelle et une grande fenêtre derrière laquelle on ne voit rien, la maison de vente aux enchères Sylvie’s ne se distingue guère des autres immeubles de bureaux situés au bout de les 'Leien', près du quartier 'Eilandje' à Anvers. Mais celui qui ouvre une porte vitrée au-delà du hall d'entrée de l'ancienne église de marins, pénètre dans un entrepôt rempli de milliers de bouteilles légendaires. Sur la droite, on aperçoit un casier rempli de Château Latour, un domaine mythique de Pauillac. Un peu plus loin, des bouteilles de Mouton Rothschild, un autre nom qui sonne comme une cloche dans cette même appellation. Et ainsi de suite, d'une caisse de six bouteilles de Petrus à un magnum La Tâche de l'illustre Domaine de la Romanée-Conti, en passant par un lot de champagne Dom Pérignon de 1973. Il s'agit sans doute de la hangar la plus savoureuse de Belgique.
 
Le Directeur général Aart Schutten s'arrête ici et là, avant la vente aux enchères pour inspecter un lot, dont trois bouteilles de Mouton Rothschild 1990. Les étiquettes - créées par le peintre irlando-britannique Francis Bacon (1909-1992) - sont légèrement tachées, mais le niveau de remplissage est encore bon, explique Aart Schutten. "C'est ce que nous appelons la base du goulot". Il montre la base du goulot, exactement à l'endroit où la bouteille est remplie. "C'est juste en dessous du niveau de remplissage d'un vin fraîchement mis en bouteille. Ce n'est pas mal pour un vin de plus de 30 ans."
 
Une description minutieuse
Avec cette inspection, M. Schutten conclut les préparatifs de la plus grande vente aux enchères organisée par Sylvie’s au cours de ses 36 années d'existence. Cette vente sera accompagnée d'un catalogue en ligne, dans lequel chaque bouteille sera minutieusement décrite et photographiée. "Une vente aux enchères se déroule presque entièrement en ligne", explique M. Schutten. "Presque aucun acheteur potentiel ne vient encore voir une telle bouteille en personne. Beaucoup de nos acheteurs enchérissent depuis l'étranger. C'est pourquoi nous essayons de donner le plus de détails possible dans le catalogue sur l'état de chaque bouteille, de la capsule jusqu'au niveau de remplissage. Une bonne information permet une bonne vente aux enchères, sans que personne ne se sente piégé par la suite lorsqu'il met la main sur les bouteilles." D'où viennent toutes ces bouteilles ? "La grande majorité provient de caves privées flamandes et néerlandaises. Il arrive qu'un négociant professionnel veuille en vendre aux enchères, mais presque tout ce que vous voyez ici provient de caves de collectionneurs. Ces derniers se rendent parfois compte qu'ils n'arriveront jamais à consommer leur stock. Ou bien ils les vendent parce que les prix montent en flèche".
 
Plus de Coca que du vin
Selon M. Schutten, toutes les bouteilles offertes par un particulier fortuné ne sont pas forcément appropriées pour être vendues aux enchères."Il faut des bouteilles qui ont un certain prestige et qui sont également rares". Rare ne signifie pas nécessairement super cher. Dans le lot 4328, on trouve six bouteilles de chardonnay néo-zélandais 2020, Kumeu River, de Mate's Vineyard, un domaine qui s'est forgé une solide réputation en peu de temps. Elles sont embouteillées avec une capsule à vis et leur valeur totale est estimée à environ 350 euros. C'est nettement moins que la bouteille magnum Le Pin de 2000, qui devrait atteindre 7.000 euros.
 
Sylvie's ne veut proposer que des bouteilles en bon état. Avant qu'une bouteille n'entre dans le catalogue, un maître de chai l'examine. Un vieux riesling d'Egon Müller n'est pas retenu pour la vente aux enchères. La capsule et l'état de remplissage s'avèrent insuffisants. Une bouteille de d'Yquem, dont le contenu ressemble plus au Coca qu'au vin, ne sera pas non plus mise aux enchères. "Nous procédons ainsi pour éviter tout problème après la vente", explique M. Schutten. "Nous ne vendons pas les bouteilles sur lesquelles nous avons des doutes".
 
Il en va de même pour les éventuelles fausses bouteilles. Les bouteilles les plus chères du monde, comme le Petrus, les vins de Romanée-Conti ou le Super Tuscan Sassicaia, sont régulièrement imitées. "Il n'y a qu'à dire ce que l'on veut, et cela arrive. Des escrocs impriment de fausses étiquettes ou volent des bouteilles à la cave. Tout a été fait au moins une fois." Les maîtres de chai examinent ces bouteilles à la lumière UV, à la recherche de marques secrètes que les domaines appliquent, tantôt sur la bouteille, tantôt sur l'étiquette. Schutten se méfie de la contrefaçon. Ses collègues américains d'Acker, la plus grande maison de vente aux enchères de vins au monde, ont été impliqués dans le scandale de la contrefaçon impliquant le maître fraudeur Rudy Kurniawan.
 
Rarement dans les portefeuilles d'investissement
Schutten estime que la vente aux enchères de décembre pourrait rapporter plus de deux millions d'euros. D'ici 2023, Sylvie's atteindra un chiffre d'affaires de 14 millions d'euros. Cela confirmera son statut de plus grande maison de vente aux enchères de vins dans le Benelux. Schutten, un ancien banquier d'ING, a repris Sylvie's il y a presque sept ans. Il a conduit la maison de vente aux enchères dans le top 10 mondial. Ce dernier comprend des maisons de vente aux enchères célèbres telles que Christie's et Sotheby's. Sotheby's vend aux enchères 25 000 bouteilles appartenant au milliardaire taïwanais Pierre Chen en plusieurs fois jusqu'à la fin de 2024, pour une valeur de vente estimée à 50 millions de dollars (plus de 46 millions d'euros).
 
En tant que grande maison de vente aux enchères spécialisée, Sylvie’s joue un rôle clé dans le commerce mondial des vins prestigieux.
Certains acheteurs se connectent depuis Londres, Los Angeles, New York ou Hong Kong, des endroits où l'on trouve une grande concentration d'investisseurs et de négociants en vins. Sylvie's travaille principalement avec des collectionneurs et des négociants privés. Il s'agit de personnes qui ont besoin de trouver un magnum Le Pin ou d'autres raretés pour un client. Nous voyons moins d'investisseurs. Ils ne sont pas non plus très intéressés par les vieux vins. Certains investisseurs achètent des caisses du dernier millésime de Bordeaux et de Bourgogne dans les règles de l'art et les conservent dans un entrepôt. D'autres fonds attendent que les prix soient moins volatils et achètent des vins un peu plus anciens. Mais les vins rares et anciens comme ceux que nous vendons ici finissent rarement dans les portefeuilles d'investissement. Nos clients finaux sont surtout des collectionneurs.
 
Il semble que ces amateurs de vin soient de plus en plus nombreux. "Il y a une génération, les grands vins étaient difficiles à trouver. On ne pouvait pas acheter une bouteille de Mouton Rothschild de 30 ans d'âge, même si on en avait les moyens. Maintenant que les ventes aux enchères sont organisées en ligne, ces bouteilles sont devenues plus accessibles. Vous pouvez enchérir sur un vieux Petrus tout en restant confortablement installé chez vous". Cet intérêt renforcé explique l'augmentation du chiffre d'affaires de Sylvie’s. Le prix moyen augmente également. Dans cette vente, vous payez en moyenne 165 euros pour une bouteille. La barre est de plus en plus haute."
 
Début décembre, 17 000 bouteilles sont passées sous le marteau. La plus ancienne était un madère de 1863, la plus chère un magnum de Romanée-Conti de 2009. (Le résultat de la vente aux enchères s'est finalement élevé à plus de 2,2 millions d'euros, ndlr).
 
Du vin à ne presque pas boire
On estime que 99 % du vin mondial n'est vendu qu'une seule fois. Le client final boit la bouteille vide, mettant ainsi fin à sa vie commerciale.
 Un groupe minuscule de bouteilles de vin rares est fréquemment échangé avant d'atteindre sa fin. Certaines ne sont jamais débouchées, mais revendues à chaque fois. C'est le sort des vins portant des noms illustres tels que Petrus, Romanée-Conti, Angelus, Cheval Blanc et d'Yquem. À ce groupe restreint de classiques s'ajoutent parfois de nouveaux noms. Depuis que le célèbre guide Wine Advocate lui a attribué la note maximale de 100 points, le Grüner Veltliner ‘Unendlich’ 2018 du domaine autrichien F.X. Pichler est plus échangé que bu.
Pour des investisseurs, le commerce de ces vins de qualité supérieure constitue un investissement alternatif. Il s'agit d'une diversification pour leurs investissements en actions, en immobilier ou en obligations. Ainsi, le marché secondaire du vin peut être comparé au marché de l'art, des voitures de collection, des montres rares ou du squelette d'un tyrannosaure.
 
Le marché des vins de prestige a connu un véritable boom entre 2003 et 2010, grâce à des millésimes spectaculaires et à l'afflux d'argent chinois et américain. Le Liv-ex 100, un indice qui regroupe les prix des 100 meilleurs vins les plus échangés, a plus que triplé au cours de ces sept années. À partir de 2011, les prix ont de nouveau chuté, même si de nombreux vins de Bordeaux du millésime 2010 ont encore battu des records. Depuis lors, des années relativement bonnes ont alterné avec de courtes périodes de baisse des prix, de sorte que le marché du vin a atteint un niveau record au début de l'année 2022, juste avant la guerre en Ukraine. L'année 2023 n'a pas été une bonne année pour les investisseurs en vin. Le Liv-ex 1000, l'indicateur de prix des mille vins les plus échangés, a chuté de 10 % entre janvier et fin septembre.
Ceux qui souhaitent investir dans le vin peuvent le faire en achetant et en vendant eux-mêmes des bouteilles, bien que le vin soit moins facilement négociable que les actions ou les obligations. Comme dans le commerce de l'art, les ventes aux enchères jouent un rôle crucial. C'est pourquoi les coûts sont élevés. Quiconque achète une bouteille chez Sylvie's doit payer une commission de 19 % en plus du prix au marteau.
 
Il est également possible d'investir dans les grands vins de manière indirecte, en achetant des parts d'un fonds. Le plus connu est The Wine Investment Fund, à Londres. Il investit dans des vins de quelque 30 domaines bordelais légendaires, tels que Petrus, Angelus, Cheval Blanc et d'Yquem, âgés d'au moins quatre ans. Le fonds a réalisé un rendement annuel de 5 % entre 2004 et 2022, bien que les investisseurs doivent encore déduire des coûts, tels que les frais de gestion de 1,5 % et les droits d'entrée. Le fonds exige un investissement minimum de 10.000 livres (plus de 11 500 euros).
 
Une troisième forme d'investissement est un hybride entre la consommation et la collecte. Dans ce cas, les participants collectent des fonds pour acheter des bouteilles exclusives. Une partie du vin acheté est considérée comme un investissement, tandis qu'une autre partie est consommée par les membres. Ficofi, en France, est un pionnier de ce type de club de vin. En Belgique, un groupe de personnes fortunées autour du sommelier Pieter Fraeyman (Hertog Jan) lancera bientôt sa propre initiative appelée The Generous.
 

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